mercredi 5 décembre 2007

Style Naturel, Maître Du Xinwu 杜心五

Déjà pénétré de Kung Fu Shaolin 少林功夫, le jeune Wan Laisheng万籁声nourrit néanmoins une intarissable curiosité à l’égard des autres styles d’arts martiaux et experts réputés qui officient à Pékin. Un de ses camarades, étudiant originaire de la région du Hunan lui parle alors du fameux maître Du Xinwu. Les deux étudiants se rendent chez le maître, mais à leur grande surprise, le frêle personnage prétend ne rien connaître aux arts martiaux, on les aura probablement induits en erreur ! Cependant, le personnage, aussi fluet soit-il, ne manque pas d’éveiller la curiosité de Wan Laisheng dont l’œil exercé relève des attitudes singulières. Loin de baisser les bras, Wan prend la décision de revenir le lendemain, et bien accompagné. Le jour suivant, c’est en compagnie d’un ami haltérophile qu’il prend la direction de la demeure d’un bien étrange individu s’il en est. Reclus, Du Xinwu se faisait en effet passer pour un déséquilibré afin de ne pas être importuné, mais sa renommée s’étendait bien au-delà de Pékin, et même Zhao Xin Zhou avait eu connaissance des prouesses du « Nan Bei Da Xia 南北大侠 », ou « grand chevalier du nord et du sud ». Arrivés sur place, les deux jeunes gens se heurtent à nouveau a l’incompréhension polie de Du qui s’en retourne alors pour rentrer chez lui. A cet instant, au moment où le « chevalier » enjambe le pas de sa porte, le culturiste pousse violemment Du Xinwu dans le dos. Un sinistre craquement se fait entendre, et Wan Laisheng, craignant pour la santé du vieillard, se demande s’il n’a pas commis une terrible erreur en voulant mettre à l’épreuve cet homme. Son ami « le balèze » se retourne alors vers lui, le visage blême et les poignets ballants ! Du, ne pesant qu’une soixantaine de kilos, avait employé la technique « Ge Shan Qu Huo » qui consiste à bomber le dos dans une explosion d’énergie (« Fa Jing »). Plus de doute, Du était bien le maître que Wan cherchait. Feignant l’ignorance (« que s’est-il passé ? »), le vieux maître invite néanmoins les deux jeunes gens à pénétrer chez lui et prend soin des blessures de l’ami de Wan Laisheng. L’aspirant lui dévoile alors le vrai objet de sa visite et fait part à l’expert de son désir d’apprendre de Style Naturel avec lui. Rétorquant que ses connaissances sont limitées, Du Xinwu invite quand-même le jeune Wan à revenir le lendemain. Le maître cherchait lui aussi un élève !

Né dans une famille aisée de la province du Hunan, Du Xinwu développe très tôt des aptitudes et un intérêt prononcé pour les arts martiaux. Il étudia durant sa jeunesse avec de nombreux professeurs et jouissait déjà à l’âge de treize ans d’une certaine renommée. Il n’hésitait en effet pas à recruter par annonce publique des professeurs qu’il défiait sans autre forme de procès ! l’impétueux adolescent avait d’ores et déjà défait un certain nombre des prétendants au poste de professeur d’arts martiaux du jeune Du Xinwu, et ne pouvait se résoudre à apprendre que d’un expert capable de lui faire connaître la défaite. Se présente un jour un inconnu de petite taille qui s’annonce au domicile familial muni d’une lettre rédigée par un ancien et méritoire professeur du jeune prodige. Par respect pour ces deux personnages, Du Xinwu ne provoque pas immédiatement cet étrange enseignant en duel, et attend de voir si ce Xu Ai Zhi (Ai signifie petite taille, à savoir que Xu mesurait environs 1m55) est à la hauteur des recommandations élogieuses de la lettre. A son accent, l’élève en déduit que son nouveau maître, très avare de paroles ou de renseignements le concernant, vient de la province du Sichuan. Avec sa pipe en métal pour seul bagage, le nouveau venu ne ressemble vraiment à rien, mais Du Xinwu se méfie du personnage, d’autant qu’il lui manque deux doigts à la main gauche. Les premiers temps, l’entraînement est loin de combler les espérances du fougueux élève, puisqu’il se contente de tourner en rond au sens propre, pratiquant l’exercice de base « Nei Quan Shou
内拳 ». Irrité et n’y comprenant rien, l’adolescent s’en prend à Xu Ai Zhi et lui demande des explications. Le maître réplique que ce travail est à la fois excellent pour la santé et le combat, et lui enjoint de continuer à pratiquer et de s’en remettre à lui. Peu convaincu par cette réponse, Du demande à voir la prétendue efficacité de ce maître et de ses obscures techniques qui n’ont rien à voir avec le combat, et propose un échange avec armes. Du choisi le sabre, alors que Xu ne sera armé que de sa seule pipe. Très vif, le maître se déplace tel un singe et reste hors d’atteinte des attaques de sa jeune recrue qui n’en nourrit que plus d’amertume. D’autant que de son côté, les coups pleuvent, et viennent intelligemment et de façon mesurée agacer les doigts et poignets du sabreur. Xu ne peut-il donc pas être atteint ? Serait-ce une sorte d’immortel ? A ces questions, Du décide d’apporter des réponses, et le jeune garçon de treize ans n’aura de cesse pendant plusieurs jours d’essayer de ne serait-ce que toucher son maître. Une fois, Du Xinwu s’y prendra même en pleine nuit, essayant vainement de porter un coup de bâton à son maître endormi. Au moment où l’arme s’abat sur la tête du dormeur, celui-ci se retourne délicatement, comme si de rien n’était et s’est son oreiller (dur) qui pare le coup. On peut s’interroger sur l’inconscience et l’absence de « manières » du jeune Du, et le fait que ses doutes le mènent à de telles extrémités, car même la patience du plus grand maître à ses limites. Alors que Xu Ai Zhi se faisait accompagner dans la montagne par son disciple afin de cueillir des plantes médicinales, les tentatives de Du pour le toucher connaissent un dénouement qui aurait pu être tragique. Cheminant derrière son maître, le jeune Du toujours aussi virulent, profite du franchissement d’un torrent sur une passerelle suspendue pour décrocher un violent coup de pied dans le dos de Xu. Mais avant que le téméraire disciple ait pu totalement tendre sa jambe, le maître se trouvait derrière lui, le saisissant par le col et le suspendant au-dessus du cours d’eau. Son entêtement l’avait poussé trop loin, ce que comprend Du Xinwu qui témoignera dès lors le plus profond respect et l’admiration qu’il se doit à son maître.

Lorsque Du lui pose des questions, que ce soit sur le Style Naturel ou sur lui-même, Xu Ai Zhi ne répond jamais. Comme il lui manque deux doigts, Du Xinwu pense qu’un accident s’est produit durant la jeunesse de son maître à l’occasion d’un combat, et que Xu aurait mis au point son propre style suite à cette défaite. Après huit années de pratique auprès de ce dernier, Du Xinwu quitte son maître de Ziran Men qui lui révèle avant de prendre congé que s’il désire le revoir, il lui faudra se rendre à la montagne sacrée de Emei Shan. Malheureusement, ce fut la dernière fois que Du voyait celui qu’il continua à considérer comme l’immortel Xu.

Du Xinwu connaît à son tour une vie trépidante et acquiert son surnom de « Nan Bei Da Xia ». Un jour qu’il escortait un convoi, Du tombe dans une embuscade de brigands et frôle la mort. Sauvé in extremis par un médecin local, il mettra près d’une année avant de recouvrer toute sa force et sa vitalité. Il n’aura alors de cesse de se mettre sur la piste de ses agresseurs qu’il exécutera un par un jusqu’au dernier. Quarante bandits restent sur le carreau. Recherché par le gouvernement Qing, Du quitte le continent pour se réfugier au Japon. Nous sommes alors au début du vingtième siècle, et la Chine connaît une période très mouvementée de son histoire. Tokyo abrite en effet un certain nombre de dissidents, farouchement opposés à la dynastie mandchoue et qui complotent contre l’empire. Parmi eux, un certain Sun Yat Sen. Un proche de Sun qui connaît bien Du Xinwu recommande alors cet expert redoutable au révolutionnaire, afin d’assurer sa sécurité. De nombreux contrats pèsent en effet sur la tête de Sun Yat Sen, et les tueurs venus du continent pour prendre sa vie sont légion. L’un d’eux réussira d’ailleurs à infiltrer une réunion secrète de l’association Tong Min Hui avec le groupe politique Bao Wang Pai (Kang You Wei, Liang Qi Chao) à laquelle participe Sun et son garde du corps. Profitant d’une certaine agitation qui ne tarde pas à évoluer en pugilat, le tueur à gage tente de se jeter sur sa cible, mais s’était sans compter sur la vigilance de Du Xinwu qui le met hors d’état de nuire ave de simples coques de cacahouètes enveloppées dans une feuille de papier froissée qu’il utilise comme projectile. Dorénavant, le maître de Ziran Men est garant de la vie du fondateur de la future république de Chine.

Plus tard, s’est sous la dictature du Guomindang que Du Xinwu se verra à nouveau sollicité, cette fois par l’homme au pouvoir du moment : Chiang Kai Sheck. Le bras droit du général recherche en effet les services de Du que sa réputation a encore une fois précédé. Une entrevue se déroule alors entre Dai Li, le responsable du renseignement, et un Du Xinwu plus que blasé et surtout décidé à ne pas travailler pour un tel gouvernement. Les choses se montreront plus ardues lors de l’invasion japonaise du début des années trente, lorsqu’un officier japonais en charge des nouveaux territoires conquis veut lui aussi engager Du. Le maître refuse comme de bien entendu toutes les propositions, jusqu’à ce que des soldats nippons en arme viennent le chercher. Suite à un nouveau refus de Du Xinwu décidément très sollicité, l’officier ordonne de le mettre aux arrêts. C’est lors de son transfert que Du Xinwu en profite pour défaire ses deux gardes et sauter le mur d’enceinte haut de plusieurs mètres avant de prendre la fuite. Le maître retourne alors dans le Hunan, sa province natale où il s’éteindra à l’âge de quatre-vingt-quatre ans.

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